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De L'Invasion jaune à la Fièvre jaune, l'actualité du Capitaine Danrit

Dernière mise à jour : 16 oct. 2021


Dans le n°57 du Figaro-Histoire, Rémi Kauffer, journaliste français spécialiste du renseignement et des services secrets, propose un article sur "LA FIÈVRE JAUNE" dans lequel il rattache les inquiétudes actuelles sur la montée de la Chine au "Péril jaune" au début du XXe siècle, et notamment à son évocation dans "L'Invasion jaune" du Capitaine Danrit.



La hantise du « péril jaune » s’est ancrée une première fois dans les esprits occidentaux à la Belle Époque, période où la Chine impériale, affaiblie, piétinée, achevait de s’effondrer. Et voici que le spectre du danger asiatique resurgit aujourd’hui, alors que la Chine de Xi Jinping affiche sans complexe « l’agenda 2049 ». À savoir : Pékin, première puissance mondiale pour le centenaire de la prise de pouvoir de Mao Zedong.

Pareil retournement aurait surpris nos aïeux. Car en matière de « péril jaune », c’est d’abord le Japon qu’ils craignaient. Peu voyaient d’un œil favorable le rapide essor du pays du Mikado. Par hostilité au régime tsariste, le grand écrivain Anatole France légitimait néanmoins dès 1904 les ambitions nipponnes, fussent-elles contraires aux intérêts européens: « Nous découvrons à cette heure le péril jaune. Il y a bien des années que les Asiatiques connaissent le péril blanc. »

Son de cloche différent chez Émile Driant. Écrivain lui aussi, mais de politique-fiction, cet ancien officier de carrière, gendre du général Boulanger, prophétisait en effet un assaut victorieux contre l’Europe orchestré par un Japon maléfique manipulant les masses asiatiques, chinoises et même indiennes. Publié en 1909 sous le pseudonyme anagramme transparent de « Capitaine Danrit », son Invasion Jaune s’inspire du siège des légations occidentales par les « Boxers » - les fameux « 55 jours de Pékin » de 1900, qui ont nourri la phobie du « péril jaune ». Mais beaucoup plus des victoires militaires nippones contre la Chine, contrainte dès 1895 de parapher l’humiliant traité de Shimonoseki, et des défaites de l’Empire tsariste, écrasé en 1905 par les Japonais sur terre (siège de Port-Arthur - aujourd’hui Lüshun) comme sur mer (désastre naval de Tsushima).

Driant avait-il connaissance du projet stratégique en germe au sein d’une partie des élites nippones : évincer les colonisateurs blancs pour faire du pays du Soleil Levant le nouveau maître de l’Asie? C’est peu probable, ce plan, alors caché, n’apparaissant au grand jour qu’en 1941 avec l’agression surprise de Pearl Harbor et l’assaut contre les colonies asiatiques de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas et de la France. Mais fût-ce de façon simpliste, déformée et excessive, l'ancien officier en sentait les prémices. Pour lui, contrairement à Anatole France, le "péril jaune" existait bien, et ce péril restait essentiellement japonais.

Naît, cependant, dès 1912 outre-manche, sous la plume d'un autre feuilletoniste romancier, Arthur Henry Sarsfield Ward dit "Sax Rohmer", une version toute différente. Cette fois, le péril serait chinois. Nul autre que le Dr Fu-Manchu, chef d'une société secrète basée à Londres. Ce personnage diabolique, Rohmer le définira tantôt comme "le péril jaune incarné en un seul" tantôt comme "la cruelle ruse de la race jaune toute entière concentrée dans un puissant cerveau". L'objectif de Fu-Manchu? Imposer au monde la domination chinoise. Un projet que le conspirateur revendiquera sans fard devant son éternel adversaire, l'inspecteur Nayland Smith : "Je voyais la Chine se décomposant lentement, devenir la proie de l'Occident. J'ai espéré donner à ma patrie la place que sa civilisation, son industrie et son idéal lui assurent. J'ai espéré la tirer de sa léthargie. Mes méthodes étaient mauvaises. Le motif était honorable." Dans le vocabulaire actuel de Pékin, l'organisation clandestine de Fu-Manchu mériterait à coup sûr la qualificatif de "triade patriotique". Jusqu'en 1959, Sax Rohmer tirera treize volumes des méfaits de son héros, preuve d'un succès populaire plus durable que celui de Driant, tué héroïquement, il est vrai, à la tête de ses deux bataillons de chasseurs aux premiers jours de la bataille de Verdun après avoir, en vain, tenté d'alerter l'état-major sur l'imminence de l'attaque allemande.

Après la Grande Guerre, la crainte d'u "péril chinois" s'estompe du fait qu'accablée par ses malheurs (féodalités des seigneurs de la guerre, famines, guerre civile entre les communistes et les nationalistes du Guomindang, agressions japonaises récurrentes), la Chine des années 1930 cesse d'incarner un danger pour se transformer en objet de pitié.


Emile Driant était en fait un fin connaisseur de la situation asiatique, et du Japon qui l'intéressait particulièrement. Non seulement il avait de nombreuses relations sur place qui pouvait le renseigner sur les moeurs et les ambitions nippones, mais sa correspondance nous apprend qu'il convoitait lui-même un poste d'attaché militaire au pays du Soleil Levant auquel il avait candidaté et que finalement il n'obtiendra pas. C'est dire l'intérêt qu'il pouvait porter à cette puissance émergente! Ce n'est pas étonnant dès lors que, analysant la situation et sondant les intérêts du Japon avec attention, il ait pu imaginer, dans L'Aviateur du Pacifique, 30 ans avant Pearl Harbor, une attaque japonaise sur une base américaine dans les îles du Pacifique...



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