A la Mémoire du sous-Lieutenant Becker, mon élève (2e Compagnie)
mort de la fièvre à Andriba (Madagascar) le 27 septembre 1895
Pendant qu'autour du trône où siège le veau d'or
Affamés et repus tournoient en ronde folle;
Que l'incrédulité de ce siècle frivole
Vers l'autre siècle prend essor;
Pendant que du bas-fond des modernes cités,
Des bouges où l'on a faim, des taudis où l'on pleure
Sans croire comme hier en une vie meilleure,
Montent les cris des révoltés;
Deux mille adolescents, les uns issus des preux
Par qui brilla la France aux siècles monarchiques,
Les autres petits-fils de ces soldats épiques
Qui surent se passer d'aïeux;
Deux mille coeurs unis déjà par le lien
Qui rapproche ici-bas tous les rêveurs de gloire,
Se disent, palissant sur la science ou l'histoire:
"Je serai St Cyrien!"
Tandis que sans souci du fatal dénouement
Que l'avenir prépare aux êtres inutiles,
La tourbe des oisifs aux cervelles fragiles
Promène son désœuvrement;
Pendant que des blasés déjà vieux à vingt ans,
Affectent le parler, la raideur d'Outre-Manche,
Vous disant qu'il est fou de parler de revanche
Et qu'il faut être de son temps;
Des soldats tout vibrants que les dangers séduisent
Vraiment jeunes ceux-là, ardents et plein de foi,
Rompent leurs volontés à l'inflexible loi
Et "pour vaincre s'instruisent".
L'honneur, ce mot sacré est pour eux le seul bien;
De leur vie à jamais le devoir est l'arbitre,
Et nul ne changerait contre le plus beau titre
Son nom de St Cyrien!
Enfin pendant que sur de lointaines victoires,
Le prudent financier spécule, et sans danger
Derrière les armées, arrive à se forger
Une fortune avec nos gloires;
Pendant que des rhéteurs, en geste prophétique
Du haut d'une tribune, ignorants indiscrets,
Sur de vieux généraux que la loi rend muets
Font peser leur lourde critique;
L'officier suit sa voie. Dans leurs coeurs oublieux
Il veut que du passé le souvenir survive;
Puis las d'attendre l'heure où l'Europe craintive
Se couvrira de mille feux,
Il part, marche, peine sur le sol africain,
Jusqu'au jour où soufflant sur ses rêves de guerre,
La fièvre au teint livide écrive sur la pierre:
"Ci git un St Cyrien!"
Tunis, Décembre 1896
Capitaine Danrit
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