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"Le St Cyrien", un poème de Danrit

Dernière mise à jour : 28 mars 2018


A la Mémoire du sous-Lieutenant Becker, mon élève (2e Compagnie)

mort de la fièvre à Andriba (Madagascar) le 27 septembre 1895


Pendant qu'autour du trône où siège le veau d'or

Affamés et repus tournoient en ronde folle;

Que l'incrédulité de ce siècle frivole

Vers l'autre siècle prend essor;

Pendant que du bas-fond des modernes cités,

Des bouges où l'on a faim, des taudis où l'on pleure

Sans croire comme hier en une vie meilleure,

Montent les cris des révoltés;

Deux mille adolescents, les uns issus des preux

Par qui brilla la France aux siècles monarchiques,

Les autres petits-fils de ces soldats épiques

Qui surent se passer d'aïeux;

Deux mille coeurs unis déjà par le lien

Qui rapproche ici-bas tous les rêveurs de gloire,

Se disent, palissant sur la science ou l'histoire:

"Je serai St Cyrien!"


Tandis que sans souci du fatal dénouement

Que l'avenir prépare aux êtres inutiles,

La tourbe des oisifs aux cervelles fragiles

Promène son désœuvrement;

Pendant que des blasés déjà vieux à vingt ans,

Affectent le parler, la raideur d'Outre-Manche,

Vous disant qu'il est fou de parler de revanche

Et qu'il faut être de son temps;

Des soldats tout vibrants que les dangers séduisent

Vraiment jeunes ceux-là, ardents et plein de foi,

Rompent leurs volontés à l'inflexible loi

Et "pour vaincre s'instruisent".

L'honneur, ce mot sacré est pour eux le seul bien;

De leur vie à jamais le devoir est l'arbitre,

Et nul ne changerait contre le plus beau titre

Son nom de St Cyrien!


Enfin pendant que sur de lointaines victoires,

Le prudent financier spécule, et sans danger

Derrière les armées, arrive à se forger

Une fortune avec nos gloires;

Pendant que des rhéteurs, en geste prophétique

Du haut d'une tribune, ignorants indiscrets,

Sur de vieux généraux que la loi rend muets

Font peser leur lourde critique;

L'officier suit sa voie. Dans leurs coeurs oublieux

Il veut que du passé le souvenir survive;

Puis las d'attendre l'heure où l'Europe craintive

Se couvrira de mille feux,

Il part, marche, peine sur le sol africain,

Jusqu'au jour où soufflant sur ses rêves de guerre,

La fièvre au teint livide écrive sur la pierre:

"Ci git un St Cyrien!"


Tunis, Décembre 1896

Capitaine Danrit

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