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Danrit fut-il Boulangiste?

Dernière mise à jour : 5 sept. 2020

Emile Driant était le gendre du général Boulanger dont il avait épousé la fille cadette, Marcelle, en 1888. Ceci lui valut de réelles inimitiés de la part de certaines hiérarchies militaires ou politiques et lui coûta d'être fortement retardé dans sa progression et son avancement au sein de l'Armée, au point, un jour, de finir par la quitter bien plus tôt qu'il ne l'avait imaginé.

Avoir eu comme beau-père le général Boulanger fait-il de Driant un boulangiste? Quelle était la nature de leur relation et quelle fut l'attitude de Driant vis-à-vis de son beau-père? Mais d'abord, qu'est-ce qu'être boulangiste? Et qui était vraiment le général Boulanger?


Puisque les noms de Driant et Boulanger sont intimement liés et souvent associés, il convient de rappeler qui était le général Georges Boulanger, son parcours souvent méconnu.

Voici le portrait qu'en faisait le commandant Entz dans la revue Les Hommes d'Aujourd'hui, en 1884, alors que Boulanger n'a que 47 ans et vient d'être nommé pour prendre le commandant de la Division française en Tunisie, soit bien avant qu'il ne soit nommé Ministre de la Guerre ou ne se lance en politique:

Le général Boulanger par le commandant Entz

"Jeune d'âge, plus jeune encore physiquement; déjà vieux par l'expérience, M. le Général Boulanger, hier l'excellent directeur de l'infanterie au ministère de la guerre, aujourd'hui le plus jeune divisionnaire de notre armée, compte, sans contredit, parmi les figures de notre époque, les plus sympathiques et les plus intéressantes à étudier.

D'une taille au-dessus de la moyenne, l'oeil vif et doux tout ensemble, la physionomie énergique et accentuée, tout à la fois robuste et distingué, dur à la fatigue, le général Boulanger doit à son origine armoricaine la force remarquable de résistance dont il a donné tant de preuves dans sa carrière déjà si bien remplie, si noblement éprouvée.

A ces dehors séduisants, si nous ajoutons qu'à une intelligence hors ligne, à une mémoire peu commune, le général joint une extraordinaire facilité d'assimilation et de production de travail, nous aurons donné une idée aussi exacte que possible de cette individualité remarquable, une des plus chères espérances de notre patrie et de notre armée.

Né à Rennes, le 29 avril 1837, le général Boulanger est entré au service le 15 janvier 1855 comme élève à l'Ecole de Saint-Cyr et fut nommé sous-lieutenant au 1er régiment de Tirailleurs algériens à Blidah le 1er octobre 1856.

En 1857, il fit, sous les ordres du maréchal Randon, l'expédition de la grande Kabylie et se trouvait, le 24 mai, à l'attaque des crètes des Jrdjerdis. Le 1er régiment de Tirailleurs prit part, en 1859, à la campagne d'Italie. Le sous-lieutenant Boulanger eut la poitrine traversée d'une balle, le 3 juin 1859, au combat de Turbigo; nommé chevalier de la Légion d'honneur le 17 juin 1859 et rentré en Afrique après la guerre, il fut nommé lieutenant au choix le 28 octobre 1860.

Embarqué avec sa compagnie pour la Cochinchine, il était, le 20 avril 1861, blessé d'un coup de lance à la cuisse gauche au combat de Traï-Dan. Il fut nommé capitaine le 21 juillet 1862 et détaché, en 1866, comme capitaine instructeur à l'Ecole de Saint-Cyr. Chef de bataillon le 17 juillet 1870, il fit la campagne de Paris et fut promu lieutenant-colonel le 9 novembre 1870 au 114e régiment d'infanterie. Quelques jours après, à la bataille de Champigny, il avait l'épaule droite fracassée par une balle et recevait la croix d'officier de la Légion d'honneur. En janvier 1871, nommé colonel du 114e de ligne, il reçut une quatrième blessure (un coup de feu au coude gauche), il fut cité pour la seconde fois à l'ordre du jour de l'armée et nommé commandeur de la Légion d'honneur.

Si le jeune colonel, singulièrement favorisé par les circonstances, avait gravi rapidement les échelons de la hiérarchie, il est équitable d'ajouter qu'il avait payé d'une blessure et arrosé de son sang chaque distinction et chaque grade qui lui avaient été conférés. En bonne justice, ils devaient lui être dûment acquis.

Telle ne fut pas, cependant, l'opinion de la Commission de révision des grades (...) s'appuyant sur cet expédiant inique que les grades conférés par le gouvernement de la Défense Nationale, ne pouvaient être que des grades provisoires, elle replaça le colonel Boulanger comme lieutenant-colonel au 109e d'Infanterie. (...) Justement froissé, le colonel Boulanger envoya sa démission qui fut refusée à deux reprises différentes, et il fut porté d'office, en 1872, au tableau d'avancement.

Promu colonel le 15 novembre 1874, il commanda le 133e d'infanteries jusqu'au 4 mai 1880, date de sa nomination au grade de général de brigade. Il fut appelé alors au commandement d'une brigade de cavalerie dans le 14e corps d'armée.

Le général Boulanger fut désigné comme chef de la mission envoyée aux Etats-Unis pour représenter la France aux fêtes du Centenaire de l'Indépendance américaine.

On n'a pas oublié les discours et les diverses allocutions du jeune général, qui sut resserrer encore les liens fraternels des deux grandes nations républicaines. Un banquet commémoratif du Centenaire a lieu chaque année, à Paris, sous la présidence du général Boulanger; tous les membres des missions françaises et américaines se font un devoir et un plaisir d'y assister.

Le 16 avril 1882, le général a été chargé des importantes fonctions de Directeur de l'Infanterie au ministère de la guerre. C'est là qu'il devait se révéler tout entier. L'ardeur, le zèle et la bienveillance qu'il a déployés dans cette haute situation lui ont rapidement conquis l'affection et le dévouement de ses nombreux subordonnés. (...)

Le général Boulanger a exercé les fonctions de Directeur de l'Infanterie sous trois ministres de la Guerre, et il n'est pas de preuves de dévouement et de zèle qu'il ne leur ait prodiguées. (...)

Quinze campagnes, plusieurs citations à l'ordre du jour de l'armée, quatre blessures, de nombreuses et hautes distinctions étrangères complètent le bagage militaire de celui dont nous venons d'esquisser la noble carrière.

Le général Boulanger a été désigné pour prendre le commandement de la division d'occupation en Tunisie. - Ambition insatiable! murmurent quelques envieux. - Ambition, soit! L'ambition respectueuse des lois, lorsqu'elle est aussi noblement justifiée, est une grande force acquise à la Patrie.

Le livre du Destin n'est pas ouvert pour nous, nous ignorons si les circonstances seront toujours aussi favorables au général Boulanger; mais ce que nous pouvons affirmer, et cette conviction nous pensons l'avoir fait pénétrer dans l'esprit de tous nos lecteurs, c'est que, quel que soit le rôle que l'avenir réserve à ce vaillant et brillant général, à ce grand coeur, il saura le remplir dignement, grâce à ses véritables vertus civiques et militaires et son profond patriotisme."

Si nous avons repris un peu longuement ce portrait, c'est qu'il doit correspondre assez justement à l'image que le jeune capitaine Driant pouvait avoir du général Boulanger lorsque celui-ci l'appela à ses côtés, comme officier d'ordonnance, en Tunisie. Ce portrait montre aussi la richesse d'un parcours dont on comprend facilement qu'il puisse susciter l'admiration, d'abord de jeunes officiers avides de faire la preuve de leur bravoure, mais aussi de la nation toute entière, surtout lorsque celle-ci vient d'essuyer la plus humiliante des défaites et, se voyant amputée de deux provinces, ne peut être que tendue vers l'espoir d'une revanche prochaine.


Que s'est-il passé par la suite, une fois Boulanger nommé en Tunisie? Cette période est d'autant plus importante que Driant était aux premières loges pour y assister et qu'il a probablement été fortement pénétré des événements qui s'y déroulèrent.

Nommé Général de Division et chargé du commandement de la Division d'Occupation de Tunisie, Boulanger parcourt le pays en tous sens afin d'étudier lui-même les problèmes qui s'y posent et oeuvre de façon déterminante à la pacification de la Régence. Ceci ne se fit pas sans heurt, pas tant avec les chefs locaux qu'avec les représentants du pouvoir civil. Boulanger eut maille à partir avec le commissaire français auprès du Bey, Paul Cambon, les droits respectifs des pouvoirs militaires et civils étant mal délimités. C'est en revenant en métropole, pour plaider sa cause, qu'il commence à se faire remarquer et à nouer des relations politiques qui l'amèneront peu de temps après au Ministère de la Guerre dans le gouvernement de Freycinet. Le travail de réforme qu'il y entreprit est immense: d'une part pour renforcer l'esprit de corps dans l'Armée et raviver le goût des Français pour cette institution, notamment pour augmenter le nombre des engagements volontaires; et d'autre part pour réorganiser et moderniser cette Armée. C'est à lui que la France doit le remplacement du fusil Gras par le fusil Lebel, l'organisation de la mobilisation en cas de guerre rendue possible en deux jours au lieu de cinq, la refonte des services Secrets (2e Bureau), mais surtout, en sous-main, le rapprochement avec la Russie en vue d'une future alliance. Le moment fort de son ministère survint lors de l'Affaire Schnaebele: jamais la tension n'avait été aussi forte avec l'Allemagne depuis la défaite de 1870. Boulanger sut montrer à Bismarck que la France était prête, et de nombreux Français eurent le sentiment de retrouver leur honneur et leur fierté lors de cet épisode. La popularité de Boulanger fut immense et la fameuse revue de Longchamps du 14 juillet 1886 en fut l'apothéose. C'est ainsi que le général Boulanger devint le très populaire "Général Revanche".


Le Général Boulanger le 14 juillet 1886 à Longchamps

Ce titre de "Général Revanche" exprime assez bien ce qui fut sa préoccupation principale, voire unique. Boulanger a connu la défaite de 1871, et en tant que militaire, l’humiliation qui l’a accompagnée ; et il en a tiré et médité les leçons. Toute sa préoccupation a donc été de préparer la France à cette circonstance – l’inéluctable revanche - ou faire en sorte qu’elle n’advienne pas. Il le déclarait dans une formule limpide: "Si je poussais à la guerre, je serais un fou ; si je n’y préparais pas, je serais un misérable." C'est le sens des réformes qu'il a entreprises. Loin d’être belliqueux, il désirait la paix et les moyens qui la garantissent : "Pour mon compte, plus patriote encore que soldat, je désire ardemment le maintien de la paix, si nécessaire à la marche du progrès et au bonheur de mon pays. C’est pour cela que dédaignant les attaques et fort du sentiment du devoir, je poursuis sans relâche la préparation à la guerre, seule garantie des paix durables. Il y a pour une Nation deux sortes de paix : la paix que l’on demande, et la paix que l’on impose par une attitude ferme et digne. Cette dernière est la seule qui nous convienne." Son deuxième souci, condition nécessaire d’une Nation forte, a été l’unité. Devant la société de gymnastique de Riom, il formait ce vœu : "Vous travaillez pour la Patrie, mes amis ; eh bien, que jamais nos dissensions et nos luttes politiques ne viennent se mêler à nos efforts ! Au jour de la lutte nous serons réunis tous sous un même drapeau ; avant la lutte soyons unis déjà…" Convaincu que la classe politique dominante de l’époque, servant ses propres intérêts plus que l’intérêt de la Patrie, menaçait cette unité si nécessaire de la Nation, il a réuni autour de lui – et un peu malgré lui - tous les mécontents qui aspiraient à renouveler le personnel politique, les institutions et redonner à la France sa grandeur. C'est pourquoi, sa popularité devenant gênante, il fut écarté à l'occasion d'un renouvellement du gouvernement, et éloigné de Paris, envoyé commander le XIIIe corps d'armée à Clermont-Ferrand. On connait le fameux épisode de son départ durant lequel la Gare de Lyon fut investie par une foule criant "il reviendra". En secret, on le presse de se présenter aux élections; sans qu'il ait déposé sa candidature, le voilà élu dans plusieurs circonscriptions. Blessé d'avoir été coupé dans l'élan de ses réformes, convaincu de leur nécessité et animé de la volonté de poursuivre l'oeuvre initiée pour le relèvement de la France et son Armée, et en même temps flatté dans son ambition par ses succès et sa notoriété, Boulanger apporte son soutien en sous-main à ces manoeuvres. C'en est trop pour le gouvernement qui le met à la retraite. La route est libre pour Boulanger pour s'engager en politique. Il fédère autour de lui les profils les plus divers, rassemblés autour du seul mot d'ordre "Révision - Dissolution - Constituante". Cette montée, bien orchestrée par ses appuis et de solides soutiens dans la presse, le mène à son élection triomphale à Paris le 27 janvier 1888. La foule le presse alors de marcher sur l'Elysée. Il refuse. Cela semble en être fini du Boulangisme. Certains déclarèrent qu'il n'osa pas prendre le pouvoir et se délectent à décrire des discussions de boudoir avec Marguerite de Bonnemains, sa maîtresse, qui l'en aurait dissuadé. En réalité, c’est son souci d’unité de la Nation qui explique qu’il ait refusé de marcher sur l’Elysée, le soir de son élection triomphale. Il avait tiré les leçons de 1871 et de Napoléon III, et n’envisageait pas un coup d’état. Il l’avait déclaré à l’avance : "Le 2 décembre a pesé lourdement sur l’Empire tout au long de son existence. Je ne veux pas d’effusion de sang. Je refuse de répondre à de telles sollicitations. Je ne dois rien faire et ne ferai rien en dehors du cadre légal de l’élection." Prendre le pouvoir par la force eut été prendre le risque de faire couler le sang des français, de les diviser et ainsi de fragiliser la Nation face à nos ennemis de l’extérieur. Lors de la Commune, déjà, Boulanger avait pris part à contrecœur à la répression ; le hasard permit qu'il soit blessé lors d’une échauffourée, ce qui lui évita de participer à des combats fratricides qu’il réprouvait. Sa ligne était donc claire et toute tracée. Loin d’être, d’ailleurs, dans la droite ligne du Bonaparte du Consulat et de son neveu Louis-Napoléon préparant le Second Empire, Boulanger est bien plus proche du De Gaulle de la Ve République, privilégiant le suffrage universel et cherchant à neutraliser les méfaits du parlementarisme. Pourquoi serait-il allé conquérir illégalement un pouvoir où il était sûr d’être porté six mois plus tard par l’unanimité de la France ? Il aurait réussi cette dernière entreprise, s’il n’avait fallu compter avec les divisions de son camp qui se firent jour dès le lendemain de son élection triomphale et de son refus de marcher sur l'Elysée, virant aux règlements de compte ; et surtout « l’habileté » du gouvernement et des parlementaires qui votèrent, pour se protéger, des lois d’exception et menacèrent de le traîner devant la Haute Cour. Sur ce plan, Boulanger a certainement réagi avec beaucoup de naïveté, davantage en soldat guidé par le sens du devoir et de l’honneur qu’en fin tacticien de la politique, et en grande partie aveuglé par son ambition et ses succès qui lui faisaient croire à sa bonne étoile.

Quant à sa fin tragique, il convient de rappeler que le général Boulanger, en raison des nombreuses et très douloureuses blessures reçues au combat, était morphinomane. Ses blessures le faisaient tant souffrir qu’il ne pouvait porter ses vestes sans y avoir préalablement taillé une ouverture à l’arrière gauche, fermée par un laçage (visible sur bien des photos). La douleur devint de plus en plus aiguë avec le temps, la morphine, et l’opium, faisant de moins en moins d’effets… ce qui expliquait, vers la fin de sa vie, ses sautes d’humeur caractéristiques allant de l’euphorie à la plus profonde dépression. A la mort de sa maîtresse, Marguerite de Bonnemains, qui lui fournissait les précieuses substances de nature à soulager ses douleurs, et qui se révélèrent être bien plus un poison qu'un remède, il ne put supporter la séparation et mit fin à ses jours. Si Clémenceau a pu dire que Boulanger était mort comme il avait vécu, en sous-lieutenant ; il faudrait rappeler, surtout, que c’est la blessure qu’il reçut héroïquement, alors qu’il n’était qu’un jeune sous-lieutenant, qui est en grande partie responsable de sa fin tragique. Les raisons profondes de sa mort commanderaient de ne parler d’un aussi pénible événement qu’avec davantage de respect. En réalité, le général Boulanger, comme soldat et comme Ministre de la Guerre, a rendu les plus grands services à la France ; et sa vie uniquement politique, pendant laquelle il n’était déjà plus vraiment lui-même, du fait de ses blessures, et où il fut emporté dans un tourbillon où les partis politiques les plus divers voulurent se servir de lui en profitant de sa réputation, est bien peu de chose au regard de sa brillante carrière militaire, volontairement ignorée. Si la personne de Boulanger a été de son vivant, comme après sa mort, victime de campagne de dénigrement et de mensonge, son œuvre témoigne heureusement pour lui. Nul doute que sans ses réformes utiles et efficaces, la France n'aurait pas abordé la Grande Guerre dans les mêmes circonstances. Pour toute gratitude, faut-il que son honneur soit éternellement sali ? C'est ce qui insupportait son gendre qui a plusieurs reprises prit sa défense au risque de freiner sa propre carrière.


Quel fut le rôle du capitaine Driant auprès de son beau-père durant toute cette période?

C'est en Tunisie que les chemins des deux hommes se croisèrent. Le lieutenant Driant est alors affecté au 4e régiment de Zouaves. Le général Boulanger arrivant en Tunisie s'adresse pour le choix de son officier d'ordonnance au général Guyon-Verdier. Ce dernier lui recommande Driant, s'appuyant sur une lettre qu'il avait lui-même reçu du général Schmitz: "Je me permets de vous adresser le lieutenant Driant, qui rejoint le 43e de ligne à Sousse ou environs; c'est un jeune officier d'un mérite absolument hors ligne, d'une modestie, d'une attitude exemplaire, sorti le quatrième de St-Cyr; je ne connais aucune qualité qui lui fasse défaut; ce serait un véritable cadeau à faire à un officier général que de lui donner comme officier d'ordonnance." Durant toute cette période, Driant marcha dans les pas et dans l'ombre du général parcourant le pays en long et en large. Dans l'Histoire patriotique du général Boulanger, Michel Morphy évoque l'anecdote suivante: parcourant certaines régions, la colonne du général Boulanger découvre de merveilleuses ruines anciennes; "à chaque pas on heurtait des merveilles ignorées. Le général ne voulut pas que ces richesses fussent plus longtemps perdues. Il fit relever par ses officiers, traduire et expliquer les inscriptions à demi effacées par les siècles sur les vieux monuments. Un de ses officiers d'ordonnance, le capitaine Driant, soldat merveilleux, d'une intelligence aussi souple que d'un ardent courage, possédait artistement l'emploi de la photographie qui va plus vite que le crayon. Obéissant aux ordres de son chef, son objectifs reproduisait ces monuments pour l'instruction de nos compatriotes, l'ornement des musées."


C'est tout naturellement que Driant suit Boulanger à Paris, à l'Hôtel de Brienne, lorsque celui-ci devint Ministre de la Guerre. Dans La Guerre des Forts, le Capitaine Danrit évoque dans un passage les fonctions d'ordonnance d'un de ses personnages - de Fleurat - et l'on peut imaginer que le portrait qu'il en fait est assez proche de son propre vécu auprès du général Boulanger. « Voilà de jolies fonctions quand on sait les remplir comme (de Fleurat) les comprenait. Il y a des gens qui s’imaginent qu’un officier d’ordonnance est quelque chose comme le, premier domestique de son général, et que tout son rôle consiste à porter sa pèlerine derrière lui, à faire sa partie de billard, et à choisir ses cigares. Allons donc ! Il est certain qu’il supplée son chef dans certaines circonstances où un général n’aurait que faire : il s’occupe de tous les détails de ses voyages par exemple, mais en ami et non pas en intendant, et cette besogne n’est qu’une partie sans importance du travail qu’il fournit. L’officier d’ordonnance doit être et est presque toujours auprès de son général l’intermédiaire obligeant de ses camarades. C’est lui qui, profitant des moments favorables (car il y a des instants de mauvaise humeur qu’il faut laisser passer), demande au brigadier ou au divisionnaire, ces petites faveurs, ces améliorations, autorisations, tolérances ou mutations qui tiennent à cœur aux officiers d’un régiment. C’est lui qui doit servir de tampon quand une tuile menace quelqu’un des subordonnés, lui qui doit plaider les circonstances atténuantes pour un camarade malheureux ou menacé. En un mot, mis à même de rendre service, il ne doit laisser échapper aucune occasion d’en rendre. (…) Je laisse à leur pose et à leurs effets de jambe ceux qui comprendraient autrement ces fonctions. Notez d’ailleurs que cette manière d’être profite à tout le monde et quelque fois au général plus qu’à tout autre, car ils sont nombreux chez nous, fort heureusement, les grands chefs qui tiennent à l’affection de leurs subordonnés, et qui l’acquièrent sûrement lorsqu’ils peuvent connaître leurs désirs et leurs besoins. Il ne s’agit pas toujours de vouloir le bien, il faut savoir le faire. » On peut imaginer que la relation des deux hommes dépassait le strict cadre professionnel et qu'une estime mutuelle les rapprochait au point que Driant avait accès à l'intimité familiale de Boulanger; c'est ainsi qu'il rencontra la cadette du général, qu'il épousera quelques années plus tard.

Le général Boulanger au Ministère de la Guerre (le capitaine Driant à gauche sur la photo)

Lorsque Boulanger est envoyé à Clermont-Ferrand, Driant suit le général. Marcelle Driant (née Boulanger) confirmera l'anecdote qui veut que lors du fameux départ du général Boulanger depuis la gare de Lyon, devant la foule enfiévrée, le capitaine Driant, n'ayant pu prendre place dans le train, fit toute la première partie du trajet cramponné au devant de la locomotive, se retrouvant couvert de suie. A Clermont, on sait que le capitaine Driant accompagne le Général Boulanger dans ses escapades amoureuses avec Mme de Bonnemains, montant la garde devant l'auberge de la Belle Meunière à Royat. C'est aussi à cette époque que le Général Boulanger entreprend l'écriture d'une somme sur la Guerre de 1870, L'Invasion Allemande; il semble impossible que Driant n'y ait pas pris part d'une façon ou d'une autre. Est-ce à cette occasion que Driant s'est fait "piqué de la tarentule d'écrire" (comme il l'écrira à Jules Verne)?

Lorsque le Général Boulanger est mis à la retraite, il perd alors son officier d'ordonnance. Driant prend un congé de quelques mois et rejoins le 4e Régiment de Zouaves à Tunis auquel il est affecté. C'est ainsi que se termine la collaboration entre les deux hommes qui ne se reverront qu'à l'occasion du mariage du Capitaine Driant avec la jeune Marcelle Boulanger. Alors que commence l'aventure Boulangiste et jusqu'à la fin tragique de Boulanger au cimetière d'Ixelles, le capitaine Driant mène une vie d'officier tout ce qu'il y a de plus ordinaire et régulière à Tunis.


Alors, peut-on dire que Driant fut Boulangiste dans ces conditions?

Il s'en ait défendu: à aucun moment le capitaine Driant n'a pris parti pour le mouvement boulangiste de quelque façon que ce soit. Il garde bien ses distances avec cette agitation politique. Il est donc impossible de déclarer qu'il ait été boulangiste.

Est-ce à dire qu'il avait pris ses distances avec celui qui était devenu son beau-père? Loin de là. S'il ne soutient pas le mouvement boulangiste, Driant reste fidèle au travail effectué par Boulanger au Ministère de la Guerre et il demeure plus que jamais fidèle à la figure du "Général Revanche". C'est pourquoi il sera amené à prendre la défense de son beau père dans la presse, ce qui lui valut quelques jours d'arrêt. A chaque fois ce n'est pas le leader du mouvement boulangiste qu'il défend mais l'ancien ministre de la Guerre.


La Guerre de Demain par le capitaine Danrit

C'est d'ailleurs le Capitaine Danrit qui prendra le mieux la défense de l'oeuvre du Général Revanche. La Guerre de Demain semble par bien des aspects une formidable opération de "service après-vente" des réformes entreprises sous le ministère Boulanger. Danrit y vante constamment, et avec une insistance trop forte pour ne pas être un peu suspecte, les mérites du fusil "modèle 1886", ainsi que la nouvelle organisation de la Mobilisation qu'il détaille par le menu. Quelques références à un grand général qui fut ministre de la Guerre, glissées ça et là, paraissent assez explicites.

Toute la Guerre de Demain s'inscrit d'ailleurs dans le thème de la Revanche, et pourrait même être interprétée comme une suite et une réponse à L'Invasion Allemande du général Boulanger. Toutes les innovations mises en avant sont aussi la fruit des années passées au Ministère de la Guerre durant lesquelles Driant a du voir défiler les inventeurs les plus fous à l'Hôtel de Brienne. La Guerre de demain est très clairement dans le prolongement de ces années d'effervescence.


En conclusion, s'il est très clair que Driant ne fut jamais boulangiste, il est néanmoins resté un fidèle disciple du général Revanche et un promoteur de son oeuvre de réforme, bien au-delà des liens familiaux qui unissaient les deux hommes et commandaient au capitaine Driant de défendre la mémoire de son beau-père.




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